MEIO AMBIENTE E ENERGIA
Libération (França) – La vie dans un monde trop chaud
Plus fréquentes et intenses, les vagues de canicule font sentir leur impact sur la santé et l’environnement. Cette année, c’est tout l’hémisphère Nord qui passe un été hors-norme, entraînant décès et hospitalisations.
A Qurayyat, ville aride du sultanat d’Oman, la température n’est pas descendue en dessous de 42,6°C entre le 25 et le 26 juin. Sur toute une journée, aucun point de la planète n’a jamais connu une telle température. Cet épisode extrême n’est que la pointe émergée de l’iceberg de records de chaleur observés à travers le monde depuis le début de l’année. Ils ont causé plus de 70 morts au Canada et encore davantage au Japon. En Californie, des incendies gigantesques dus à la sécheresse intense font rage et ont tué six personnes depuis le début du mois.
«Il y a une très grande cohérence entre les prédictions de l’évolution du changement climatique et les observations de terrain, affirme Robert Vautard, climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement du CNRS. En Europe, le réchauffement est même plus rapide que prévu. Dans les prochaines décennies, les vagues de chaleur vont se multiplier et s’intensifier partout sur la planète.» Les années 2016, 2015, 2017 et 2014 ont été, dans cet ordre, les plus chaudes jamais enregistrées. 2018 pourrait bientôt se placer en haut de la liste, selon l’Organisation météorologique mondiale.
Face à ce scénario, les pouvoirs publics commencent à s’inquiéter des impacts sur la santé humaine, alors que de nombreux pays ne sont pas armés pour protéger leur population. Le 26 juillet, des parlementaires britanniques ont alerté, dans un rapport, que la chaleur pourrait causer 7 000 morts par an d’ici 2050 si le gouvernement n’adaptait pas les infrastructures du pays. Dans le Sahel, la saison sèche (au printemps) a vu les températures atteindre des niveaux presque mortels. Le chercheur-climatologue François-Marie Bréon précise que «la durée est aussi importante que la température elle-même» car elle favorise le risque de mortalité pour les personnes vulnérables.
Une étude scientifique publiée en 2017 dans la revue Nature concluait qu’actuellement, près de 30 % de la population mondiale est exposée, au moins 20 jours par an, à des températures et de l’humidité au-delà du seuil létal. Pour 2100, ce pourcentage s’élèverait à environ 48 % si on réduit drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES), et à 74 % si ces dernières continuent d’augmenter (ce qui est en train d’arriver). Sous l’effet conjugué d’une forte humidité et d’une température de plus de 35°C, le corps humain ne peut plus se refroidir par la transpiration.
Chikungunya
«La chaleur affecte aussi la qualité et la quantité d’eau et de nourriture disponible pour les communautés qui vivent dans ces circonstances climatiques extrêmes pendant très longtemps, décrit Shubhayu Saha, professeur à l’université Emory à Atlanta, spécialiste des impacts du changement climatique sur la santé publique. La sécheresse provoque des incendies qui dégagent des fumées toxiques pour l’homme et les animaux.»
Le dérèglement climatique a aussi des effets de long terme sur la santé, mais qui restent encore peu étudiés. Selon l’Association américaine de psychiatrie (APA), l’exposition à de hautes températures est associée à un accroissement de la consommation d’alcool pour lutter contre le stress et à une hausse des admissions dans les hôpitaux et aux urgences des personnes souffrant de troubles mentaux et psychiatriques, ainsi que du nombre de suicides. «On a découvert un lien entre les événements météorologiques extrêmes et une augmentation des comportements agressifs et de la violence domestique», décrit l’APA. «Le désagrément causé par une température trop chaude ou trop froide touche notre système immunitaire, lui-même lié au mental», rappelle le Pr Emmanuel Rusch, médecin de santé publique au CHU de Tours.
Autre conséquence : la transformation des possibilités de transmission des maladies infectieuses. «Les écosystèmes changent, la répartition des insectes aussi, souligne le spécialiste. Il y a dix ans, en Indre-et-Loire, il n’était pas possible d’imaginer la transmission de maladies infectieuses comme le chikungunya véhiculé par le moustique tigre. Aujourd’hui, c’est différent.» Marie Carrega, adjointe au secrétaire général de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc), confirme : «On s’attend à une remontée des maladies qu’on n’avait plus l’habitude de voir en Europe.» C’est aussi ce que prédit une étude de la revue scientifique britannique Scientific Reports parue l’an dernier et selon laquelle plus de 63 % de 157 agents pathogènes ou maladies (concernant l’homme et l’animal) sont liées au moins à un facteur climatique et pourraient donc évoluer sous l’effet du réchauffement.
Chaleur est aussi synonyme de pollution de l’air. De la frontière nord de la France à la vallée du Rhône en passant par Paris, l’épisode de canicule de la semaine dernière s’est accompagné d’une hausse des concentrations en polluants atmosphériques. «La pollution à l’ozone [qui prend la forme du smog, ndlr] se produit de manière concomitante avec la hausse des températures, affirme Robert Vautard. L’air chaud circule lentement et s’alimente en pollution à son passage au-dessus des régions industrielles et au fort trafic routier.» Respirer beaucoup d’ozone peut provoquer crises d’asthme, encombrements des bronches et irritations oculaires.
Est-on prêt à faire face à ces menaces ? «En France, il a fallu attendre la canicule de 2003 pour développer un plan de prévention et d’adaptation efficace, souligne le chercheur. Il n’est basé que sur les observations, pas sur les prévisions climatiques établies par les scientifiques.» Aux Etats-Unis, plus de 130 groupes de protection des travailleurs ont déposé, le 17 juillet, une requête auprès de l’administration Trump pour l’élaboration d’un plan pour les personnes travaillant en extérieur. La série de canicules de cet été a déjà provoqué la mort de plusieurs personnes, notamment des agriculteurs.
Selon l’Organisation internationale du travail, les chaleurs extrêmes pourraient conduire à des pertes de productivité au travail équivalentes à 2 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Car «notre activité économique tout comme notre bien-être dépendent du climat», rappelle François-Marie Bréon. En France, le code du travail, par exemple, prévoit pour les travailleurs du BTP la mise à disposition de lieux de repos, mais aussi «de l’eau potable et fraîche, à raison de trois litres au moins par jour et par travailleur» et même «l’arrêt du travail en cas d’intempéries». Mais on est encore loin des bons réflexes de l’Espagne et du Portugal, qui décalent leurs horaires à cause de la chaleur.
Océan saturé de chaleur
Les hommes ne sont pas les seuls touchés. Animaux et végétaux sont aussi bouleversés par la fournaise. En France, certains oiseaux et arbres ont débuté leur ascension vers des altitudes plus fraîches, mais risquent d’être coincés par les hauteurs dans les prochaines décennies. Plus alarmant encore : les océans captent 93 % de la chaleur liée aux émissions de GES. «Ce réchauffement des eaux entraîne la fonte des glaces aux niveaux des pôles et la montée du niveau des mers, développe Françoise Gaill, coordinatrice du conseil scientifique de la plateforme Océan et Climat. Il participe à leur acidification, ce qui a de graves impacts sur certaines espèces marines, notamment les mollusques et les coraux.» Des populations de poissons ont déjà commencé à migrer vers le nord pour éviter de cuire. «Nous savons que l’océan a une limite de chaleur qu’il peut capturer, mais nous ne la connaissons pas encore, reprend la chercheuse. Atteindre ce seuil de saturation aura des conséquences dramatiques pour tous les écosystèmes, les humains y compris.»
Par Aurore Coulaud et Aude Massiot
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