Le Monde (França) – Le gouvernement doit être plus ferme contre la déforestation
En refusant de définir des règles et de les appliquer, la France compromet sa stratégie contre l'importation de produits qui concourent à la déforestation, s'indigne Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace France
Il y a plus d'un an, le 6 juillet 2017, la France se dotait d'un plan Climat avec, parmi ses objectifs, celui de lutter contre la déforestation importée. Ce terme désigne la part des produits que nous importons de différentes régions du monde et qui contribuent à la déforestation dans les pays dont ils proviennent. La déforestation représente entre 12 % et 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (une part proche de celle du secteur des transports). La France est directement concernée, du fait qu'elle importe de nombreuses matières premières et produits transformés associés à la déforestation : bois, huile de palme, soja, cacao, café, caoutchouc…
Avec des mois de retard, une première mouture de la Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) a enfin été proposée, le 3 juillet, par le gouvernement, et une version finale est attendue pour la rentrée. Malheureusement, en l'état, ce texte condense tous les vices classiques des tentatives écologiques en milieu ultralibéral, pour aboutir, in fine, à une démission lamentable de la puissance publique.
Pour commencer, la SNDI vise l'horizon 2030. La France s'est pourtant engagée auprès de l'ONU à mettre un terme à la déforestation en 2020 (c'est l'Objectif de développement durable no 15). Pourquoi, alors, repousser l'échéance ? Cela revient à dissoudre le sens de l'urgence, en repoussant la résolution du problème. C'est aussi se défausser de ses responsabilités : Nicolas Hulot sera-t-il encore ministre dans douze ans, quand il faudra rendre des comptes ?
Projet de méga-mine d'or
Autre exemple : la SNDI ne vise qu'un certain nombre de matières premières et en laisse d'autres de côté, comme… le bois, mais aussi le colza, le café, le coton, le cuir, etc. A quoi bon morceler un problème global, au risque de substituer des flux de matières à d'autres ? De même, la stratégie retenue s'occupe des forêts tropicales mais oublie les forêts boréales, pourtant menacées. D'ailleurs, si la Suède résiste aujourd'hui si mal aux incendies, c'est à cause de la monoculture massive de résineux exotiques largement destinés à la surconsommation européenne de produits papetiers à usage unique : emballages, papier toilette, gobelets, serviettes jetables, etc.
Mais le plus grave réside certainement dans l'application avec laquelle la SNDI s'interdit d'évoquer la moindre mesure réglementaire, alors même que cette option figurait dans le texte liminaire du plan Climat. Comme s'il était interdit d'interdire en matière d'environnement. Nulle part le mot sanction ne figure dans le texte. La SNDI souhaite encourager la " finance verte ", mais refuse d'interdire ou même de pénaliser la finance dite " brune ", celle qui porte atteinte à l'environnement. Elle souhaite étendre le marché des certifications " écologiques ", alors qu'aucune n'a fait ses preuves en quinze ans et qu'une telle approche dispense surtout les Etats de sanctionner la déforestation. Elle veut " verdir " les agrocarburants de première génération au lieu de les interdire, alors que leur consommation croissante a un impact désastreux pour le climat et la biodiversité. A ce sujet, le gouvernement, en mai, avait autorisé Total à importer jusqu'à 550 000 tonnes d'huile de palme dans son usine de La Mède (Bouches-du-Rhône) pour faire des agrocarburants (ce qui représente plus de la moitié des importations françaises actuelles d'huile de palme), alors même que Nicolas Hulot avait déclaré vouloir en finir avec ce carburant nocif.
La stratégie gouvernementale prétend réduire notre dépendance au soja d'Amérique du Sud, responsable de la disparition de millions d'hectares au Brésil et en Argentine, mais ne fixe aucun indicateur quantitatif ou calendaire et n'évoque pas la réduction de la consommation de viande et de produits laitiers, point pourtant indissociable de cette question. Elle préconise aux acteurs du développement français de ne plus financer de programme risquant d'entraîner de la déforestation, ce qui n'empêche pas l'Agence française de développement de porter actuellement un programme d'exploitation industrielle massive de la forêt tropicale du bassin du Congo en RDC ! Enfin, elle entend mettre un terme à la déforestation importée sans s'occuper des risques de déforestation sur le territoire français, alors que la forêt amazonienne guyanaise se trouve sous la menace d'un projet de méga-mine d'or.
Sur le front de la déforestation, l'approche incitative a fait son temps, il est temps de changer de paradigme. Les industriels eux-mêmes, aux premières loges de la raréfaction des denrées qu'ils exploitent, attendent cet interventionnisme, car ralentir sans contrainte publique, c'est se voir condamné dans la compétition économique. Les ONG qui travaillent sur ce sujet l'appellent de leurs vœux depuis des années. La rentrée sera-t-elle l'occasion pour ce gouvernement de prendre enfin ses responsabilités ? Il revient au régulateur public de définir des règles et de les appliquer fermement. Nous n'avons plus de temps pour l'écologie velléitaire.
Clément Sénéchal
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